AM54 - Design et espace sensible

La problématique de la conception du produit se pose simultanément au rythme des évolutions mondiales surtout au moment où on questionne les conditions et les obligations du métier du concepteur qui exige la présence du trinôme interactif à savoir "pensée, matière et réalisation". Ceci nous laisse réfléchir principalement à l’activité productive basée sur des techniques qui simulent la stratégie de conception adoptée. Une telle stratégie s’est libérée du caractère aléatoire relatif au métier d’artisan à la planification d'un système de production conditionné et défini par un ingénieur-concepteur.  L’objectif de cette recherche est d'étudier les exigences pour penser et surmonter les obstacles techniques pour un nouveau champ de liberté créative permis par des capacités techniques numériques. Quelles sont les exigences qui mènent vers cette nouvelle voie de conception qui transgresse et dépasse les lois imposés précédemment ?

Cette problématique nous conduit à adopter une démarche analytique qui se présente en trois parties: si la première s’intéresse au passage de l’imitation à l’innovation dans le façonnage d’un produit, la deuxième présente la dialectique qui existe entre l'abstraction de l'idée et l'incarnation de la matière afin d'explorer la relation entre la matière et la forme dans la création d’un produit. La troisième partie met en avant le passage de la conceptualisation à la réalisation en design produit par le biais d’outils et de moyens technologiques  insistant sur l'impact des technologies modernes et des logiciels numériques dans les processus de conception. Cette analyse nous conduira à déduire la dialectique entre l'artisanat et l’apport des évolutions technologiques dans le domaine du design.

Le terme « CriseS », leitmotiv de ce symposium, est révélateur de la situation actuelle à laquelle est confrontée l’humanité. Qu’elles soient : économique, sociale, environnementale ou sanitaire, ces crises sont enchevêtrées et complexes, qualifiées par Rittel et Webber (1973) par des problèmes pernicieux wicked problems, impossibles à résoudre d’une manière ponctuée et linéaire. De là, un changement radical doit être opéré au niveau l’enseignement supérieur afin de reconsidérer le modèle actuel des savoirs compartimentés, un modèle qui commence à être désuet, car il a montré ses limites et ses insuffisances pour faire face aux défis futurs complexes. Le design en tant que discipline n’échappe pas à la règle. Le modèle que nous sommes en train d’enseigner à nos étudiants n’est plus adapté aux changements survenus après la révolution du numérique, ni aux problèmes actuels auxquels sont confrontés les humains et leurs sociétés. Il s’allie à l’économie du profil au détriment des besoins réels de la société (Papanek, 1971). L’objectif de notre recherche est d’instaurer un dispositif méthodologique permettant d’intégrer la soutenabilité en amont dans l’enseignement des futurs designers afin de garantir une pratique responsable et viable.  Nous avons défini le design soutenable en termes de valeurs telles que la responsabilité sociale, la viabilité et la collaboration qui ont été traduites sous forme de compétences à développer. Dans le travail empirique, au sein de l’atelier de projet, nous avons invité les étudiants à identifier des situations problématiques qui relèvent du quotidien, analyser et résoudre les problèmes détectés en mettant en évidence le soi, le soi avec les autres ou les autres. Les résultats montrent l’importance des compétences comportementales ou soft skills, qui permettent à l’apprenant de se construire par lui-même à travers l’expérience.

Cet essai de réflexion advient depuis le croisement entre ma formation philosophique et mes enseignements dans le design, à l’université tunisienne. Le constat de rapports conflictuels entre des théorisations et méthodes philosophiques avec celles en formation et en transformation dans le design, vient former cumul et entrelacs avec des rapports fondateurs d’élaboration et de co-structuration. Notre questionnement naît du rapport entre les problèmes environnementaux et le fléau pandémique, les changements climatiques et le système économique mondial monopolistique, les systèmes de valeurs de l’humanité et les conflits entre l’éthique et le scientifique (Jonas 1979, Bloch, E. 1944). La scientificité du penser et du concevoir, comme modèle épistémologique, entre la philosophie et le design, est remise en question à l’épreuve de l’enjeu éthique adopté par le design actuellement. Responsabiliser, conscientiser, éveiller, sensibiliser, solidariser, générer l’être et l’agir des humains dans des buts éthiques, se trouverait « uni-dimensionné » par les normativités scientifiques. Les antagonismes inhérents au design entre le « centré humain », « l’orienté humain », et la différenciation par rapport aux méthodes des sciences humaines et sociales, sont présents dans les murs de l’université tunisienne, et par-delà, vers les terrains de la pratique. Comment saisir ces conflits et ces interprétations à travers une réflexion avec, et de l’intérieur, de ces liaisons existantes et projetées, dans le prisme d’une philosophie du design dans notre pays, aujourd’hui ?  

Nous proposons, dans le cadre de cette intervention, la synthèse des résultats de recherches multidisciplinaires menées au sein d’une équipe interdisciplinaire (Layeb et al., 2016 ; 2019), qui a réuni architecture, urbanisme, psychologie et traitement du signal.  Ce forum nous offre l’occasion de faire connaître de nouveaux champs de savoir dans l’étude du comportement et de la perception. Nous nous sommes basés, dans nos études, sur la réponse affective comme outil d’analyse spatiale (Péneau, 2012). Nous nous sommes intéressés à l'expérience sensible des usagers via un outil innovant et novateur de saisie des mesures psychophysiologiques (Picard, 2009) via la conductance de la peau (Bouscein, 2012). Il s’agit de l’indicateur le plus significatif et un moyen objectif de la mesure de l’affect pour évaluer les émotions.  Ces données ont été corrélées à d’autres méthodes quantitatives et qualitatives (Grosjean and Thibaud, 2001) à savoir métrologie, parcours commenté, simulations. Notre attention s’est arrêtée sur les dimensions urbaines et architecturales (Layeb, 2020). Le premier volet s’intéresse à la perception des ambiances sonores chez l’usager urbain au centre-ville de Tunis. Le deuxième concerne la perception altérée de l’usager atteint de trouble sensoriel (cas des enfants autistes) et ses modèles comportementaux pendant son séjour dans les lieux d’accueil et d’enseignement (Dunn, 1997). Notre objectif est de comprendre les perceptions spatiales afin de proposer un environnement et une qualité de vie adaptés pour tous. Les résultats obtenus ont permis d'apporter des indicateurs à notre compréhension de l'occupation de l'espace architectural et urbain et ont ouvert de nouvelles pistes de réflexion sur la conception architecturale et urbaine.